Les secrets de l’écrit
Henri Vernes, qui a longtemps partagé sa vie entre la Belgique et la Côte d’Azur, est réputé écrire vite. Dans le calme et à la main. Les histoires, les phrases semblent lui venir facilement et il ne paraît pas avoir les états d’âme de la plupart des écrivains. Une efficacité imparable que le temps n’a pas altérée.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Cela vient à la fois de mes lectures et de mes expériences personnelles. Quand je dis lecture, je ne parle pas seulement des livres, mais aussi des journaux et des magazines. Je m’intéresse à beaucoup de choses – histoire, sciences, politique internationale et même faits divers – ce qui me permet d’avoir un large éventail de sources. Une fois que j’ai établi la ligne directrice du roman, je fais appel à mon imagination.
Quelle est la part d’expérience personnelle ?
C’est très variable : dans certains romans il peut ne pas y en avoir du tout et dans d’autres beaucoup. Prenez L’œil de l’Iguanodon. Eh bien l’héroïne c’est le portrait d’une jeune amie. Tout ce qui se passe entre Morane et elle, aurait pu se passer entre moi et elle. C’est pour cela que j’ai une affection particulière pour ce titre, d’autant qu’il est truffé de private jokes. Dans un prochain livre, j’envisage de mettre en scène la fille d’un ami à moi. Je l’ai rencontrée il y a quinze jours à Paris. C’est une ravissante petite fille, gentille, elle a vraiment tout pour elle. Elle m’a demandé d’être l’héroïne d’un Bob Morane. Je vais le faire pour lui faire plaisir… Tout ça pour dire que dans Bob Morane il y a des trucs de ma vie, des petits événements que j’ai vécus. Je serais incapable de vous les citer tous. Par exemple, dans un Bob Morane apparaît mon ami Don César Enrique Riascos. Dans celui-là, il y a des descriptions précises de Colombie. Ailleurs on trouve des pays que j’ai vus ou très bien connus, Haïti notamment. Des romans comme Les Compagnons de Damballah, La Vallée des Mille Soleils sont inspirés par les séjours que j’ai faits en Haïti et en Colombie. Je me sers donc, parfois, de l’ambiance de pays que j’ai visités. Mais, hormis les exemples que je vous ai cités, il n’y a jamais d’éléments tirés de ma vie privée. Je ne crois pas qu’en lisant mes romans, on apprenne vraiment à mieux me connaître. Seuls ceux qui me connaissent déjà bien pourront faire des rapprochements. Un lecteur moyen conclura que je suis un écrivain d’une grande culture générale, d’une grande curiosité et doté d’une solide documentation. Il ne saura pas que, quand je parle de magie, je connais ça très bien, que certaines références à des personnages historiques me sont chères. Il conclura peut-être que je suis un homme qui aime les femmes, mais je crois que tous les hommes aiment les femmes, à l’exception de ceux qui aiment les hommes ! Mais il ne faut pas croire que tous mes romans contiennent des souvenirs personnels. J’ai quand même écrit plus de 180 titres ce qui, évidemment, m’a forcé à sortir de mon propre vécu et même de mes goûts personnels.
Avez-vous parfois puisé dans votre passé « d’espion » ?
Très peu. Ce n’était pas l’espionnage à la 007. C’était quelque chose de beaucoup plus pépère, malgré les risques qu’on courait. J’avais une vingtaine d’années. C’était l’âge des bêtises.
Continuez-vous à écrire du Bob Morane ?
Oui, peut-être pas avec la même ferveur qu’à mes débuts, mais avec le même plaisir. J’ai conscience qu’il faudra que quelqu’un prenne ma place un jour. Bob Morane est peut-être éternel, mais pas moi.
Trouvez-vous toujours l’inspiration ?
Il est évident qu’après avoir écrit tant de romans, les sujets commencent à manquer. Il faut se renouveler en évitant de se répéter et c’est un problème… Quoique, pas vraiment…
Pensez-vous au lecteur quand vous écrivez ?
En règle générale non. Mais, à force d’écrire, je commence à connaître les « trucs » qui vont lui plaire. C’est pourquoi j’utilise certaines recettes.
Quelles sont vos techniques de travail ?
En général je travaille à la main. Ni ordinateur, ni machine à écrire. Je pars d’un titre sur lequel je brode. Parfois, j’ai un collaborateur qui me crée un premier jet que je retravaille, mais la plupart du temps je les invente moi-même.
Connaissez-vous la fin de l’histoire au moment d’écrire le premier mot ?
Jamais. Je sais seulement que ça va bien se terminer, forcément puisque Bob Morane doit revenir dans le roman suivant, mais je ne sais pas du tout comment les choses vont évoluer. Je suis le premier lecteur de ses aventures. Ce qui est intéressant, car ça me laisse une constante possibilité d’invention. Avec un plan, je ne m’amuserai plus puisque, quand le plan est écrit, le roman est fini.
Comment faites-vous, alors, pour ne jamais laisser de temps mort ?
Le but du jeu est de placer les personnages dans les pires situations possibles et après, et seulement après, d’imaginer la manière dont ils vont s’en sortir. C’est comme un défi que je me lance chaque fois.
Comment qualifieriez-vous votre style littéraire ?
Adapté au sujet, en l’occurrence l’aventure. Donc : simple et imagé. On ne peut pas s’y permettre de se lancer dans des phrases alambiquées, il faut que ça bouge. La seule exception concerne les descriptions parce qu’il faut que le lecteur comprenne bien et rêve à des endroits où il ne mettra peut-être jamais les pieds. Mais, là non plus, il ne faut pas s’étendre. Les descriptions servent uniquement à établir le cadre dans lequel se déroulera l’aventure.
Pourquoi ne faites-vous pas des descriptions plus élaborées ?
Parce que je ne les aime pas en tant que lecteur, sauf si elles sont dues à des écrivains de très grand talent. Je trouve que les descriptions cassent le rythme, quand elles ne consistent pas à remplir du papier pour faire de « gros » livres. Mais je reconnais quand même l’utilité de certaines descriptions. Si vous lisez mes romans dans l’ordre chronologique, vous constaterez que je consacre de plus en plus de lignes à décrire un lieu ou un paysage. Mais je le fais d’une manière différente, non plus en un seul bloc mais en plusieurs petites touches réparties dans tout le livre.
Finalement, selon vous, à quoi sert la description ?
À dresser une toile de fond, un cadre général. Ce n’est jamais le lieu qui fait l’action, mais les personnages. Au théâtre, ce sont les acteurs qui font le spectacle, par le décor. Il faut donc des mouvements, des dialogues, des rebondissements, et c’est cela qu’attendent les lecteurs de Bob Morane.
Et à quoi servent les dialogues ?
Il est primordial parce qu’il donne vie au récit. Sans dialogues, vous ne faites que décrire des lieux ou une action, alors que grâce au dialogue vous apportez un côté humain. Pour moi, le dialogue est indispensable.
Et les monologues de Bob Morane ?
Je les ai beaucoup utilisés à une époque et moins maintenant, car j’ai fini par les trouver un peu artificiels. Mais cela permettait de suivre les raisonnements et les réflexions de Bob Morane ce qui était utile à la compréhension du récit et à la justification de ses comportements.
Vous êtes réputé pour vos tics de langage, le savez-vous ?
Oui, et maintenant je fais exprès de les placer dans chaque roman. Il est certain que, quand on a écrit 190 romans, il y a des phrases toutes faites qui reviennent. Ou alors il faudrait avoir un style d’écriture tout à fait plat sans aucune expression originale, ce qui n’est pas mon cas. Mais plus que des tics de langage, je dirais qu’il y a des tics de personnages, par exemple quand Bob Morane se passe la main dans les cheveux. Ça fait partie du personnage.
Votre respect aigu de la grammaire s’est-il assoupli ?
Oui parce qu’il faut savoir évoluer et s’adapter aux changements dans l’écrit. Dans L’Étrangère, Alexandre Dumas fils fait dire à une dame : « Il était temps que vous arriviez ». Et le héros dit, en aparté : « Elle aurait dû dire que vous arrivassiez… mais elle est tellement émue ! » Il est évident qu’aujourd’hui l’emploi du subjonctif imparfait est un peu tombé en désuétude.
Vous documentez-vous beaucoup ?
Se documenter n’est pas très difficile : il faut trouver le ou les bons livres. Les Guides Hachette et les Guides du Routard constituent de bonnes bases. Même pour parler des pays que j’ai visités, j’ai dû me documenter à mon retour. Même si ça se passe à Bruxelles que je connais bien ! Tous mes romans reposent sur un fait précis que j’étudie au mieux. Autrefois, dans la collection Marabout, il y avait une rubrique Marabout Chercheur qui reprenait ce fait et l’expliquait. C’est moi qui écrivais cette rubrique. Ça me permettait d’évoquer certains pays ou certains faits de manière différente qu’à travers Bob Morane. Je revenais à mon ancien métier de journaliste. Cette rubrique a disparu, je ne sais pas pourquoi, c’est peut-être une erreur, il faudrait que j’en reparle avec mon éditeur. Mais la documentation ne résout pas tous les problèmes, il faut lui ajouter une bonne dose d’imagination. J’ai quand même reçu des félicitations pour des descriptions de pays où je n’ai jamais été !
Quand vous commencez un roman et que vous choisissez le pays, vous assurez-vous que ce pays n’a pas déjà été le cadre d’une précédente aventure ?
Oui je suis attentif à cela, mais il y a des pays que je n’ai pas envie de voir et donc à propos desquels je n’ai pas envie d’écrire. Par exemple, l’Australie cela ne m’emballe pas du tout. J’ai peut-être tort. Quand je vois des documentaires sur l’Australie, je m’ennuie ! J’ai l’impression que tout le monde s’emmerde dans les bars d’Adélaïde. Il y a d’ailleurs une chanson là-dessus… Qu’est-ce qu’on doit s’emmerder à Adélaïde !… Il doit y avoir d’autres pays que je ne retiendrais pas pour y envoyer Bob Morane. Il y a des pays auxquels je ne touche pas parce que je ne les connais pas bien et ne sais trop comment me documenter. Par exemple l’Afrique, c’est un continent que je n’ai jamais beaucoup exploité. Il y a quelques Bob Morane sur l’Afrique, mais en Afrique la grande aventure est morte. On ne peut plus chasser – ce qui est bien – et de plus, par les documentaires, tout est désormais connu. Heureusement, il reste encore des forêts gigantesques, sur des millions de kilomètres carrés. Là, je pourrais encore placer quelques aventures de Bob Morane.
Quelles sont vos destinations de prédilection pour Bob Morane ?
J’aime l’Amérique du Sud, les Antilles que je connais bien, des pays comme Israël. Londres, mais mon Londres à moi c’est encore un Londres du temps du brouillard, le Londres de Sherlock Holmes. L’Asie j’y vais un peu sur la pointe des pieds, parce que la Chine ce n’est plus ce qu’elle était jadis. J’ai écrit un livre intitulé La Guerre du Pacifique n’aura pas lieu. C’était une histoire de voyage dans le temps qui m’a permis de retrouver la vieille Chine des années 30.
Vous intéressez-vous à l’actualité mondiale ?
Oui. Mais encore une fois le grand problème avec Bob Morane, c’est d’essayer de ne pas toucher à la politique.
Notamment avec un litige genre israélo-palestinien. Parce que c’est trop pointu. Et c’est trop subjectif : ou on est fanatiquement pro-israélien ou on est fanatiquement pro-palestinien.
Travaillez-vous tous les jours ?
Maintenant moins puisque j’écris moins de Bob Morane. Mais avant, je travaillais tous les jours. Peut-être pas toute la journée, mais tous les jours. Que ce soit des bandes dessinées ou les romans. Quand je sautais un jour, j’écrivais le double le lendemain.
Écrivez-vous en silence ou en musique ?
En silence, toujours.
La télé parfois. Il m’arrive d’écrire sur mes genoux pendant que la télé marche, mais je ne l’écoute pas. De temps en temps quelque chose me frappe l’oreille et me semble intéressant. Si c’est vraiment intéressant, je dépose mon stylo et je regarde. J’écris d’une main et je regarde la télé, ça m’arrive.
Peut-on vous déranger quand vous écrivez ?
J’aime autant pas.
Coupez-vous le téléphone quand vous écrivez ?
Non. Mais j’ai un répondeur connecté en permanence.
Je n’ai jamais écrit à heures fixes. J’aurais bien aimé faire comme Simenon, mais ça ne répond pas à mon tempérament. Il y a des moments où ça vient mieux, il y a des trucs que j’écris plus facilement que d’autres. Ça vient mieux parce que je les sens davantage. Tandis qu’il y a d’autres choses dont je n’ai pas envie, alors je traînaille. Mais tout ça n’est pas lié à un moment de la journée. À une époque, j’ai beaucoup écrit la nuit, ce qui me permettait d’avoir du silence. Ma compagne dormait et j’étais à mon aise. J’écrivais assis à ma table, tranquillement.
Non, assis. Mais pas assis à mon bureau. Comme j’écris à la main, je préfère m’installer dans un fauteuil.
Écrivez-vous sur un bloc, des feuilles courantes ?
Sur un bloc, toujours le même format depuis le début : grands carreaux allongés. Et au Bic, mais le Bic a changé depuis mes débuts. La marque a changé. Ce ne sont pas des feutres, mais plus tout à fait des Bic. Je crois que ce sont plutôt des stylos-bille.
Non, une seule relecture suffit. Je fais peu de ratures.
Combien de temps vous faut-il pour écrire un Bob Morane ?
Comme je devais en fournir un tous les deux mois, ça me prenait environ quinze jours, trois semaines, à raison de cinq à dix pages par jour. Quelquefois plus, car je me suis souvent retrouvé en retard avec l’imprimeur qui attendait mon texte avec impatience. Il faut dire que j’avais une fâcheuse tendance à commencer mes livres à la dernière minute… Maintenant c’est un peu élastique, parce que j’en fais moins. Combien d’heures par jour, combien de pages par jour ? Je n’en sais rien !
Comment ressentiez-vous le fait de travailler dans l’urgence ?
Peut-être que, dans le fond, ça m’aidait. Parce que j’écrivais dans un élan. Il y avait davantage de spontanéité qu’il n’y en a maintenant.
Avez-vous déjà eu l’angoisse de la page blanche ?
Jamais, et heureusement ! Parce que si j’avais dû l’avoir chaque fois que je commençais un roman cela m’aurait causé de gros problèmes. C’est très facile de ne pas avoir l’angoisse de la page blanche : il suffit d’écrire n’importe quoi. « Ce jour-là, Bob Morane perdit une de ses pantoufles. » On écrit n’importe quoi et on continue. Et petit à petit le reste suit, les idées viennent toutes seules.
Donc, les deux machines « écriture » et « imagination » sont liées…
Oui, c’est un peu ça. J’ai donné cet exemple, mais ça n’est pas toujours une histoire de pantoufle. Par exemple : « Le téléphone sonna et Bob Morane dit « Tiens quel est l’imbécile qui sonne ? », il décroche et dit : « Il n’y a pas le téléphone ici » ; « Mais non, commandant, c’est moi » ; « Ah, Bill où es-tu ?… » Et ça démarre. Ou alors : « Figurez-vous, commandant, que j’ai un caillou dans ma chaussure. » ; « Tu as un caillou dans ta chaussure ? » ; « Regardez, il me fait si mal. » ; « Mais c’est un diamant ! » Et puis le reste vient. Bon gré, mal gré.
Si, il y a la paresse de s’y mettre. Ça c’est autre chose. Ça j’ai assez souvent ! Il m’arrive aussi, par exemple, si un morceau ne va pas bien, que je passe à un autre. C’est-à-dire que, si je ne sens pas bien le chapitre XI, je passe au chapitre XIV. Et puis, je reviens en arrière et je me débrouille. Avec la production que j’avais et le temps que je perdais, j’étais contraint à un certain rendement.
Oui. J’ai déjà eu l’envie de ne pas écrire. Assez souvent, d’ailleurs, parce que finalement quand on écrit autant que j’écris, ça devient parfois un pensum ; il n’y a plus l’attrait de la nouveauté. Alors il y a des moments où je n’ai pas envie.
Pourquoi continuer d’écrire à la main ?
Parce que l’ordinateur est une machine aveugle. Il ne sait pas conjuguer, il corrige mal les fautes, il fait des erreurs. Alors que la plume suit servilement votre pensée.
Qu’est-ce qui est le plus difficile quand on écrit un Bob Morane ?
Tout est difficile. Il y a des moments où Bob se retrouve dans des situations incroyables et je me demande comment je vais faire pour l’en sortir. Il y a toujours une part de hasard dans mes romans. Quelquefois ce hasard se transforme en coup de génie !
Écrire pour des jeunes est-il une contrainte ?
Je ne parlerai pas de contraintes, mais de tabous. Et le grand tabou c’est le sexe. Il faut éviter des rapports entre homme et femme autres que psychologiques. Se contenter de rapports amicaux quitte à les teinter de tendresse. Mais le sexe c’est une chose que j’évite. Et que j’ai évitée dès le départ. J’ai toujours été fidèle à cette règle… Il y a aussi le tabou de la violence, mais ça je ne l’ai jamais respecté. Il y a toujours eu de la violence dans les Bob Morane mais une violence raisonnée et raisonnable. Jamais une violence gratuite. Jadis, on disait que Bob Morane, en train de combattre, ne pouvait tirer dans le dos de quelqu’un. Or c’est complètement faux parce que, quand on défend sa vie, on tire dans le dos de n’importe qui ! Et ça c’est un vieux western qui me l’a appris… Je ne dépasse pas une certaine limite dans la violence. Il ne faut pas qu’elle soit trop gore, comme on dit maintenant. Mais le coup de poing, le judo, le jiu-jitsu, tout ça y est, et les coups de revolver aussi.
J’essaye de ne pas être trop vulgaire. Mais ça m’arrive d’avoir ce qu’on appelle un « langage parlé ». Je ne dirai jamais le mot « merde » par exemple. Peut-être que Bill dirait « shit », mais cela n’est pas la même chose. Ce sont des mots, en général, que je n’emploierai jamais. « Espèce de con » par exemple, ce n’est pas possible chez Bob Morane ; je dirai « espèce d’imbécile » ou « espèce de minus ». Ceci malgré le fait que les jeunes ne se gênent plus pour dire « con » ou même « espèce d’enculé » !
Que ne peut pas faire Bob Morane ?
Bob Morane ne peut pas voler, ne peut pas tuer gratuitement, ne peut pas faire, finalement, tout ce qui est interdit par la loi et par la morale judéo-chrétienne. C’est un peu gênant parce que, finalement, ça rend le personnage un peu inhumain. Comme je vous le disais, beaucoup de filles me disent préférer Bill Ballantine parce que Bob Morane est trop parfait, trop clean. Mais il est comme ça ! J’ai commencé de la sorte et je ne peux rien y changer.
Comment faites-vous pour éviter des répétitions (action, répliques) d’un roman à l’autre ?
Je ne suis pas sûr d’avoir réussi et il est certain que, parfois, je me répète. Quand on écrit beaucoup, comme moi, il y a des formules toutes faites, des tournures de phrases qui reviennent automatiquement. En ce qui concerne les actions, je crois que, là aussi, il y a des répétitions. Le cadre peut cependant être différent. Il n’y a pas trente-six manières de casser la gueule à un type !
Avez-vous, en cinquante ans, établi un planning des aventures de Bob Morane ?
Jamais. J’ai toujours écrit un livre spontanément sans savoir quel serait le suivant. J’ai des idées, bien sûr, mais aucun planning préétabli. Les aventures de Bob Morane se sont construites brique par brique, sans aucun plan. Je suis un artisan, pas un architecte. Cela explique d’ailleurs pourquoi il n’existe aucun fil conducteur à travers ces 190 romans.
Bob Morane a-t-il changé depuis ses débuts ?
Physiquement pas beaucoup. À un certain moment il avait les cheveux en brosse et, comme ce n’était plus à la mode, je lui ai fait des cheveux drus. Il a toujours des yeux gris. Il mesure toujours un mètre quatre-vingt-cinq et pèse toujours quatre-vingt-cinq kilos. Non, il n’a pas vraiment changé. Moralement, il a plus changé, car le monde a changé, les habitudes ne sont plus ce qu’elles étaient, la morale est différente d’auparavant. Bob Morane est peut-être devenu un peu moins naïf qu’avant. Sa façon de vivre a changé. Par exemple quelqu’un m’a fait remarquer dernièrement que, dans les premiers romans, Bob Morane parle de payer son loyer et, plus tard, il est propriétaire de l’immeuble par héritage. Ce sont de petits détails.
Pourquoi Bob Morane ne vieillit-il jamais ?
Il ne vieillit jamais parce que les héros ne vieillissent jamais.
Oh, je ne sais pas. On a dit que c’était en référence à l’âge du Christ. Absolument pas. Je crois que c’est parti du fait que Biaise Cendrars – que je lisais beaucoup à une certaine époque, et que je lis encore maintenant – écrivait toujours « à paraître : trente-trois volumes »… À moins que cela ne vienne d’un docteur de mon enfance qui me disait : « dites 33 » ! En tout cas, ça n’a rien à voir avec le Christ.
Énormément. C’est pourquoi Bob Morane est parti dans toutes sortes d’aventures, y compris dans le temps. Au départ, j’avais suivi une certaine tradition du roman d’aventures, mais il m’est rapidement apparu évident que je risquais de tourner en rond. Je ne pouvais éternellement envoyer Bob en Amazonie ni dans certaines contrées asiatiques. D’où l’apparition du fantastique, thème qui m’est cher, et de la science-fiction. Dès lors, de nouveaux univers s’ouvraient à moi.
Avez-vous eu recours à des « nègres » ?
Oui, je le confesse. Ce fut tout particulièrement le cas à une période où je rencontrais des problèmes avec Marabout. J’ai fait appel à des collaborateurs extérieurs à qui je donnais un canevas. Ils écrivaient dans leur coin et me soumettaient un premier jet. Je me rendais alors compte que j’étais obligé de tout réécrire. Finalement, il est plus simple pour moi d’écrire directement le roman. Aujourd’hui, il m’arrive de faire appel à des auteurs pour trouver de nouvelles idées.
Êtes-vous un romancier populaire ?
Ce terme me dérange un peu, car il est souvent à connotation péjorative. Mais si, comme moi, on considère Balzac et Dumas comme des romanciers populaires, alors je suis très fier d’être un romancier populaire.
Quelle est votre définition du romancier populaire ?
Un auteur qui s’adresse au peuple, donc qui est beaucoup lu.
Disons que je suis un auteur de romans d’aventure. Plus précisément de romans d’aventure qui s’adressent aux jeunes. D’ailleurs, je considère que les romans pour les jeunes doivent être des romans d’aventure.
Parlons des couvertures de vos livres, c’est vous qui les suggériez ?
En général, c’était moi qui proposais le sujet. Et encore maintenant, c’est moi qui le suggère. Naturellement, le résultat ne correspond pas toujours à mes désirs.
Choisissez-vous les dessinateurs ?
En général ce n’est pas moi qui les choisis. Il m’arrive de dire : « celui-là je n’aime pas ». Il y en a un par exemple, jadis – je ne le citerai pas – qui, pour mon goût, dessinait très mal.
Qui écrivait les Marabout Chercheur qui terminaient vos romans ?
C’est moi qui les ai écrits tous. Mais je ne saurais vous dire si, au départ, c’était une idée de moi. Je crois que c’était une idée de Jean-Jacques Schellens. J’ai arrêté à un moment parce que ça m’ennuyait. Quand j’avais fini mon bouquin, j’en avais marre et j’avais envie de passer à autre chose. Il m’est arrivé de reprendre des articles que j’avais déjà écrits. Et, finalement, Marabout a supprimé tout cela.
Qui choisissait les titres des romans ?
Les titres sont toujours de moi. On ne m’en a jamais imposé. Je dois dire pour tous les éditeurs, même Marabout au commencement, qu’on ne m’a jamais rien imposé. Ni au niveau des titres ni au niveau des contenus. La seule exception est un détail. Je ne sais plus dans quel roman – il se passe à San Francisco, je crois – il est question d’une bouteille de Martini. Or, à cette époque, Marabout avait un contrat publicitaire avec Cinzano. Et j’avais choisi Martini parce que c’était plus connu du grand public. Je ne voyais pas Bob Morane dire : « Donnez-moi un Cinzano » ! Finalement, pour couper la poire en deux, j’ai remplacé « Martini » par « vermouth ».
Trouvez-vous facilement un titre pour chaque aventure ?
Plutôt oui. Et très souvent avant même d’écrire l’histoire. Parfois un beau titre me donne l’idée d’une histoire. J’ai encore quelques titres en tête que je n’ai jamais employés.
Ça aussi c’est assez facile. Il suffit de regarder les génériques de cinéma, pour les noms anglais. Ou de regarder dans le bottin. Ou alors de les inventer, mais il y a un risque des répétitions.